On m’a ouvert la porte barrée du troisième étage. D’un air blasé, un [éduc] m’a invité à y entrer. Porte ouverte ; coup d'œil sur une réalité où plusieurs petites vies s'entrechoquent durement sous la vigilance nécessaire, mais sursollicitées d’intervenants parfois épuisés.
*** C’était un soir - froid - d’l’hiver 2019. Le vent sifflait fort, les Vacances des fêtes achevaient ; je devais aller rencontrer Jérémy. J’avais déjà étiré un peu l’affaire en priorisant d’autres dossiers. Il se trouve que Jérémy avait possiblement été victime de gestes à caractère sexuel de la part d’un autre jeune, Keven. Un malheureux scénario qui se répète et qui devient dure à démêler avec tant de proximité, de possibilités, d’enfants carencés et regroupés. Jérémy et Keven ; deux petits gars qui partagent des déroutes familiales similaires, des styles d’attachements vaseux, des histoires chaotiques, des parcours instables, des diagnostiques de traumas complexes. Ils ont passé plus du tiers de leurs vie à essuyer les défaites, à tester les limites, à se faire déplacer d’une famille à une autre. Finalement, leur finalité à eux, c’est ici ! Quand tout a été tenté, ce qui te reste, c’est quatre murs de béton et une équipe d’éducateurs en rotation. Je ne sais pas pourquoi, mais ce jour-là, l’image de Jérémy était chimérique dans le décor immuable de sa grande unité. Ça m’a frappé ! Haut comme trois pommes, avec ses traits de petit garçon d’à peine 12 ans, dans sa petite chambre grise où seules les couleurs de ses constructions de lego détonnaient dans le tableau frigide qui l'entourait. Jérémy, il a un petit cœur brisé. Il enchaîne les crises, les états d’âmes en dent de scie, il ne peut plus s’ancrer. On l’a tellement malmené qu’il a décidé de ne plus s’attacher ; de provoquer pour s’apaiser ; de se prouver que plus jamais personne ne va l’abandonner. Il n’attend plus ses parents depuis longtemps. Il a compris qu’ils ne seront jamais là. Il est le 6eme d’une famille de 10. 10 enfants éparpillés un peu partout - qui survivent du mieux qu’ils le peuvent - j’imagine. Des fois mon esprit divague, je me perds dans ma tête et je me surprends à réunir ces enfants éclatés. Je leur offre 30 secondes de réunification et d’espoir. J’efface leurs traumas pour qu’ils puissent recevoir ce qu’on leur a volé, sans culpabilité. Jérémy et Keven sont le reflet de dizaines de petits gars, qui, chaque année, arrivent à un point de rupture ; celui de devoir - pour toujours - habiter entre quatre murs de béton. Je dis [toujours] parce que les enfants n’ont pas le même rapport au temps, et que pour lui, le fait de ne plus pouvoir se projeter dans d'autres possibilités, c’est une fatalité. Ça entretient ses dualités ; ça éteint ce qui lui reste de perméabilité. - Des murs de bétons et des petits cœurs en téflons - Ce soir, je pensais à Jérémy ; parce que chaque enfant qui croise ma route y laisse un petit peu de la lourde poussière qu'il traine sous ses pieds. Je pensais à Jérémy parce que je réalise qu'un petit garçon qui construit des lego multicolores dans sa maison aux allures de prison ; c'est un guerrier de l’adversité qui se bâtie un univers [son cœur de chiffon en baluchon], dans le seul espoir d’exister un jour pour quelqu’un... |
Signé, la T.S
*Contexte probable,aucun usager identifiable.