30 Mar
30Mar

Décrocher ses petits doigts, un à la fois.

Retirer un enfant ; ça fait mal par en dedans.

Dans le chaos du petit HLM par un après-midi banal, je suis dans la chambre à coucher d’une maman [sous écoute policière] je dois lui expliquer, rapidement, que je vais devoir partir avec ses enfants. Les policiers, eux, s’agitent dans l’appartement à coups de 3-4, ils ont un mandat de perquisition, ils s’exécutent.

Aujourd’hui, maman et papa vont se faire arrêter. Ils virent fort dans le trafic de stupéfiants depuis une couple d’années ; ça adonne que l’enquête criminelle est étoffée et qu’on est rendu à les stopper dans leur lancée.

Dans tout ce chaos, deux petits bouts de vie trainent au sol dans le salon. Je m’approche de celui de deux ans. Je lui parle, je le rassure [je suis certaine que le son de ma voix, c’est un facteur important]. Ça grouille autour de moi, autour de nous. Maman crie fort et résiste, petit loup enfonce ses petites mains dans mon cou. Je lui extirpe quelques sourires sous son air affolé, mais résigné et résistant, fort et surprenant. Je m’assois par terre pour finir de donner le reste de biberon au deuxième petit format qui se tortille à côté. Je mobilise tout ce que j’ai de ludique pour essayer de casser l’atmosphère terrible et accablante, un bébé de quelques mois dans les bras. Comme si le temps s’était figé, je chante des chansons en organisant au mieux cette épopée, en hypervigilance face à que je peux ramasser comme effets pour les éloigner [momentanément] de leur vie tourmentée.

Malheureusement, je n’ai pas trouvé de famille d’accueil en mesure de se permettre d’assumer deux si jeunes enfants. Je dépose donc le plus petit, tout rose, recroquevillé comme une chenille de papillon, dans une première maison. Pendant que je donne les grandes lignes de son petit-gris à la dame qui nous accueille, mon petit escargot de deux ans s’agite, tourbillonne, essaie de générer du sens face à l'absence de repère. Il cogite avec ce qu’il a capacité affectives et cognitives et il exprime sa détresse avec ce qu'il a de capacités physique et expressives.

De retour dans la voiture, confronté à la coquille vide du petit colimaçon, je sens qu’il perd l’équilibre. J’ai chaud, j’ai de la peine pour lui ; on s’échange quelques regards alors qu’il hurle, pleure, me repousse à en perdre ses bottes. J’arrive à calmer sa tempête en usant de distractions diverses. Dans le rétroviseur, petit chat a le regard vide. Il est fatigué, ses yeux se ferment…

En route vers une deuxième maison. Je prends des détours, le chemin qui aurait pu prendre 20 minutes en prend finalement 45. Je fais jouer de la musique douce ; je roule lentement. Je veux que mon petit ami fatigué puisse s’apaiser avant d’être confronté à notre prochaine étape. J’ai aussi besoin de souffler. La route, dans ces situations-là, c’est exutoire ; une solitude bénéfique, un refuge, une coupure, une protection. Pendant 45 minutes, bébé louveteau, qui n’a pas choisit les déroutes et les mauvais choix de ses parents, roupille en hoquetant son reste de peine séché, complètement bouleversé dans son petit monde.

Comme il fallait bien finir par arriver, je me stationne devant cette autre maison, je prends une grande respiration, je détache mon petit copain et je lui parle doucement. Lorsqu’il ouvre les yeux, il cherche désespérément quelque chose de connu à quoi s’accrocher. Cette détresse ; c’est pur, c’est viscéral, ça vient te chercher par en dedans.

Dans mes bras, il s’accroche. Je deviens, par dépit, la dernière épave à laquelle il peut se référer. Je sens chacun de ses petits doigts s’enfoncer. Pas question de perdre cet encrage, il serre fort.

On cogne à la porte, il pose sa tête sur mon épaule. Je sens que [bien qu’inquiet] il me fait confiance. Nous entrons, pour que je puisse sommairement présenter cet enfant ; que je ne connais pas ; à celle qui se porte volontaire pour l'accueillir dans son environnement ; milieu bien différent de sa réalité. Il doit maintenant faire face à l’inconnu angoissant d’une maison habitée par beaucoup de petites vies, toutes momentanément retirées de leur famille.

Arrive évidement le moment de le laisser partir, de lui permettre de s’installer. Petit escargot refuse, il s’agrippe, il repousse cette autre personne qui tente de le prendre, de l’amadouer. 

Mon cœur se serre, je voudrais pouvoir suspendre le temps, je me sens comme une bouée dans sa [mère] tourmentée. Tout va tellement vite, ses capacités d’adaptations sont irritées, abusées. Dans cet orage émotif, je n’ai finalement pas d’autre choix que de prendre délicatement chacun de ses petits doigts, un par un, pour les décrocher. Pour pouvoir quitter ; sans me retourner.

Retirer un enfant, c’est sentir [pour toujours] ses petits doigts bien enfoncés dans ta peau ; c’est entendre ses pleurs les plus profonds quand tu fermes les yeux le soir venu ; c’est être une bouée pour le sortir de l’eau et c'est espérer, pour lui, des jours plus beaux.  

Signé, la T.S




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